Le pont au-dessus du puits
Responsable de la sécurité sur le chantier, le contremaître ne répond cependant pas en permanence de tous les actes. Sur les grands chantiers, le contremaître ne peut pas être partout à la fois. De même qu’il est impossible de surveiller constamment le travail des sous-traitants. La frontière entre le début et la fin de la responsabilité est parfois complexe et déterminée en fonction des circonstances concrètes.
Le contremaître était responsable de la construction de 15 maisons sur un chantier. Un puits se trouvait à côté de l'échafaudage vers la maison 10 et un élément conique haut de 1,2 mètre était posé sur ce puits. Puisqu'il fallait souvent pomper, la partie supérieure de cet élément conique était ouverte. Le contremaître avait déjà terminé les travaux de construction de cette maison et, avec son équipe, il œuvrait sur d'autres maisons à 100 mètres de là. Un samedi, un sous-traitant a enlevé une entretoise du garde-corps de l'échafaudage. Il pouvait ainsi grimper directement sur l'échafaudage et entrer dans la maison, sans faire de détour par l'escalier. Le puits se trouvant à côté de l'échafaudage, un panneau de coffrage avait été posé depuis l'échafaudage au-dessus du puits, formant ainsi un pont. Une voie rapide et simple vers l'extérieur était ainsi offerte. L'accident s'est produit un lundi matin à 7h15 lorsqu'un isoleur de façades, riche d'une longue expérience professionnelle, a traversé ce pont depuis l'échafaudage. Le panneau de coffrage a cédé. L'ouvrier a fait une chute de cinq mètres dans le puits et s'est gravement blessé à la cheville.
Procédure pénale
Le ministère public a condamné le contremaître à une peine pécuniaire avec sursis de 20 jours-amende pour blessures corporelles par négligence, ainsi qu'à une amende et à la prise en charge des frais. Il a argumenté que le puits avait été créé par l'entreprise de construction du contremaître. Ce dernier était donc responsable de la sécurité et aurait dû recouvrir le puits, sachant que des ouvriers passeraient dessus.
Jugement de 1ère instance
Le service juridique de Cadres de la Construction Suisse a déposé un recours, faisant valoir que seuls les puits situés au niveau du sol devaient être recouverts. Une protection contre les chutes d'au moins 95 cm de haut doit être installée autour du puits. Le cône de 1,2 mètre remplissait largement cet impératif. En outre, le contremaître n'était plus responsable du chantier. Il avait déjà remis la maison 10 et ne répondait donc plus des sous-traitants. De plus, on ne pouvait pas attendre d'un contremaître que, sur un tel chantier, il ait déjà vérifié le lundi matin à 7h15 si toutes les consignes de sécurité étaient respectées. L'isolateur de façades a commis une négligence grave. Avec son expérience professionnelle, il devait connaître les dangers de marcher sur un panneau de coffrage placé au-dessus d'un puits ouvert.
Le tribunal a déclaré que le contremaître n'était plus responsable de la maison 10 et l'a acquitté. Il a toutefois exprimé des accusations à l'égard de la direction des travaux. Cette dernière était responsable de l'application des prescriptions de sécurité sur le chantier et avait omis de régler au préalable les responsabilités en matière de sécurité après l'achèvement des travaux dans les différentes maisons.
Acquittement en 2ème instance également
L'accidenté a fait appel contre cette décision auprès du tribunal cantonal compétent. Celui-ci a retenu, comme l'avait déjà fait la première instance, que le contremaître n'était plus responsable des rondes de contrôle régulières sur l'ensemble du chantier. Il ignorait l’existence de ce "pont" et ne devait pas se douter que quelqu'un construirait un tel "pont" ou enlèverait le garde-corps de l'échafaudage. Le cône de 1,2 mètre ayant la hauteur minimale de 95 cm, les règles de sécurité étaient respectées. Le tribunal cantonal a ainsi également acquitté le contremaître de sa culpabilité et de sa peine.
Markus Bischoff, Avocat